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Le raisonnement est certainement spécieux, mais il repose sur une généralisation, peut-être aventureuse, d’expériences relatives à la surface de la terre et il ne supplée pas notre ignorance profonde des conditions dans lesquelles s’entretient la chaleur du soleil. Au fond, toute la question est là. Au bout du cycle d’une année, l’entropie ne paraît guère avoir touché la terre, mais nous nous demandons à quel prix le soleil a pu fournir à l’effroyable déperdition qu’il paraît faire de sa chaleur. Nous sommes, à vrai dire, un peu plus avancés qu’Anaximandre, mais les hypothèses que l’on formule aujourd’hui à cet égard exciteront probablement, dans vingt-cinq siècles d’ici, le même sourire qui peut nous venir aux lèvres en présence des conceptions de l’antique Milésien.

Ce n’est pas le lieu de discuter ici ces hypothèses, mais une simple remarque ne sera pas inutile. Avant la théorie mécanique de la chaleur, on admettait, pour notre système solaire, d’une part à la suite des études de Fourier, la stabilité de l’équilibre relatif des températures, de l’autre, comme conséquence des travaux de Laplace, celle de l’équilibre mécanique du soleil et de ses satellites. Comment est-on arrivé à détruire cette harmonie en s’appuyant sur un principe qui, semble-t-il, aurait au contraire dû la compléter ?

C’est qu’après avoir assimilé la chaleur à un mouvement, on l’isole des autres mouvements et on la considère comme tout autre chose dès qu’il s’agit de son mode de transmission. Et cependant l’essence intime du mode de transmission des autres forces de la nature nous est tout aussi bien inconnue ; nous déguisons notre ignorance en parlant d’énergies potentielles, mais nous sommes loin de pouvoir mesurer toutes ces énergies électriques, chimiques, etc., comme nous mesurons, par exemple, celles qui correspondent à la chaleur ou à la gravitation. Tant que leur indépendance ou leurs relations réciproques ne seront pas absolument élucidées, il est prématuré de formuler comme définitive une loi pareille à celle de l’entropie.

Ces considérations suffisent pour justifier le scepticisme à l’égard de cette nouvelle doctrine. Mais, pourra-t-on dire, faut-il pour cela écarter, fût-ce même comme hypothèse, cette conception d’états limites idéaux et indéfiniment reculés dans le passé ou dans l’avenir, de quelque façon qu’on doive d’ailleurs se figurer ces états opposés ? Les deux autres réponses à l’éternelle question sur les destinées de l’univers, la stabilité indéfinie de l’ordre de choses