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une véritable destruction, c’est une transformation, un passage à un nouvel état, cette fois indéfiniment stable. Quelles que soient les différences de cet état avec l’actuel, il n’y en a pas moins, au fond et philosophiquement parlant, retour, pour ce côté du temps, à la thèse de Xénophane.

Quant au passé, pour juger du véritable caractère de la croyance à une création ex nihilo, il suffit de rappeler l’argument de Chateaubriand : que les découvertes géologiques ne prouvent rien contre l’Écriture, car Dieu a pu et dû créer les couches stratifiées, avec les coquilles qu’elles contiennent, absolument comme si elles avaient été déposées par les mers. Il n’y a aucune contradiction possible à opposer à cette hypothèse, précisément parce qu’elle est tout à fait en dehors de la question. Celle-ci ne consiste-t-elle pas à remonter l’histoire du monde, à la reconstituer comme elle s’est déroulée, sans s’inquiéter de savoir si ce fut dans une réalité tangible ou bien dans l’évolution de la pensée divine, si nous ne sommes en présence que d’une illusion subsistant seulement depuis qu’il plaît à un Créateur ?

L’affirmation ou la négation d’une création ex nihilo, à telle ou telle date à partir de maintenant, que ce soit il y a six mille ans, que ce soit hier, ne peut nous toucher. À tel état que l’on suppose le monde au moment de cette création, correspondra nécessairement un ordre sériaire régressif de phénomènes antérieurs et, que ces phénomènes aient été perçus ou non, ils sont nécessairement pour nous comme s’ils s’étaient réellement produits ; nous devons donc, au sens scientifique, les affirmer, car nous n’avons point d’autre critérium pour la réalité du passé.

On sait de reste que l’argument de Chateaubriand s’adressait aux premières attaques sérieuses ébranlant alors la doctrine reçue et cela au nom de la science ; c’était l’époque où un des plus illustres représentants de celle-ci reconstruisait une genèse systématique de l’univers qui dépasse naturellement celle d’Anaximandre de toute la hauteur de l’édifice des connaissances modernes, mais qui, comme détails, n’était pas destinée à vivre beaucoup plus longtemps que la tentative du précurseur hellène.

Or, en même temps que Laplace exposait l’ensemble de ses vues comme une hypothèse rendant inutile celle de la création, par une singularité frappante, il prétendait, comme corollaire de sa Mécanique céleste, démontrer la stabilité du monde et son impérissabilité. L’union de ces deux thèses — la genèse dans le