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de Platon et subsiste même dans Aristote, pour la divisibilité indéfinie des grandeurs limitées.

Dans les conditions où nous apparaît ce second sens, on le croirait facilement dérivé du premier, et il est certain que celui-ci a dû influer sur les transformations de l’autre. Mais Teichmüller a grandement raison de considérer la signification d’indéterminé comme également primitive et de la préciser, dans le langage d’Anaximandre, en l’appliquant à l’absence de limites existant, au sein de l’élément primitif, entre les diverses formes de la matière, avant que la différentiation et l’intégration de ces formes eussent établi entre elles les bornes respectives qui les séparent à nos yeux.

L’emploi du terme en question indiquerait donc que le Milésien se représentait sa matière originelle comme un mélange mécanique, dont le mouvement occasionne la séparation des parties, plutôt que comme un élément susceptible de transformations dynamiques, dues à ce même mouvement.

Le choix entre ces deux représentations a été, pour les historiens de la philosophie, l’objet principal des discussions relatives à Anaximandre. À première vue, les textes (ex. fr. 3) semblent pencher pour le mélange mécanique ; aussi Ritter, qui a cru devoir partager les Ioniens en deux écoles bien distinctes, les dynamistes et les mécanistes, range résolument Anaximandre dans la seconde, à côté d’Anaxagore et d’Archélaos, tandis qu’il compte comme représentants de la première Thalès, Anaximène, Héraclite et Diogène.

Il y a, dans une pareille distinction, une exagération incontestable, et elle a le grand défaut de masquer le progrès continu des concepts et l’unité fondamentale de la doctrine. Au fond, comme Teichmüller l’a dit pour Anaximandre, tous les Ioniens sont dynamistes comme tendance d’esprit, seulement leur mode de représentation est plus ou moins mécaniste.

Reprenons le fragment 3 et demandons-nous ce que sont au juste ces contraires qui préexistent dans l’« indéterminé » d’Anaximandre : le froid et le chaud, le sec et l’humide, sont-ce là des éléments concrets ou des qualités abstraites ? Ni l’un ni l’autre, ou bien tous les deux à la fois, car la distinction des deux points de vue n’était nullement faite à cette époque.

L’erreur a toujours la même cause, l’application aux antiques doctrines de concepts qui, historiquement, leur sont très posté-