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deux ou trois faits qui montreront mieux que toutes les paroles combien cette amitié était généreuse et délicate.

Quand M. l’abbé de Carsalade du Pont et moi nous publiâmes les Mémoires de Jean d’Antras de Samazan, la dépense fut plus considérable que nous ne l’avions pensé. Mon cher collaborateur était alors un pauvre curé de campagne et moi j’étais un malheureux propriétaire déjà cruellement atteint par le phylloxera. Madame Marie, ayant eu connaissance des difficultés de la situation, déclara gracieusement (oh ! l’adroit prétexte !) qu’elle aimait trop la Gascogne pour ne pas contribuer aux frais d’impression d’un ouvrage qui faisait tant d’honneur à cette province, « pépinière de héros, » et avec un élan qui doublait le prix du bienfait, elle nous envoya une somme que nous accueillîmes comme les Hébreux à jeun durent accueillir les cailles grasses qui du ciel tombaient à leurs pieds.

Un peu plus tard, la bonne comtesse apprit que dans l’humble presbytère de Mont-d’Astarac, où avaient été réunis déjà, autour d’un magnifique chartrier, bien des volumes de grande valeur, manquait un ouvrage qui, précieux pour tous, est indispensable à un érudit s’occupant surtout d’histoire et de généalogie : je veux parler des Mémoires du duc de Saint-Simon. Aussitôt elle adresse des instructions à son libraire et, un beau jour, le secrétaire général de la Société de Gascogne eut la douce surprise de voir arriver les vingt volumes de la plus récente et de la meilleure des éditions alors connues[1]. Ces jeux de fée bienfaisante, Madame de

  1. Madame de Raymond n’obligea pas un ingrat, comme le témoigne le petit billet suivant, que je reçus le surlendemain de la mort de notre amie et où vibre ce que l’on a si bien nommé le cri du cœur : « Je suis écrasé, mon cher ami, par la triste nouvelle que j’apprends. Pauvre chère comtesse, comme nous l’aimions et comme elle nous aimait ! Quelle perte ! Quel vide au milieu de nous ! Notre fraternité est bien cruellement atteinte. Je ne trouve dans mon cœur brisé aucune parole de consolation à vous adresser, tant j’ai besoin d’être consolé moi-même. Avez-vous pu aller rendre à cette chère dépouille les derniers devoirs de l’amitié ! Hélas j’ai été retenu ici par mon ministère. Adieu, cher ami. Je vous embrasse dans la douleur et dans les larmes. Jules de Carsalade Du Pont. »