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cieux ; M. Philippe Lauzun, qui était le plus jeune de nous tous et que sa spirituelle vivacité faisait surnommer Philippe le hardi ; M. Adolphe Magen, aussi petit mangeur qu’aimable causeur, et qui, comme nous le disions, négligeait les mets fins pour se rabattre sur les mots fins ; M. Gaston Séré qui, soit avocat, soit homme du monde, parle si bien, parle comme un livre, un de ces livres qu’il aime tant, et à qui je ne pardonnerai jamais, lui qui tourne à ravir les sonnets, de n’en avoir publié qu’un seul qui vaut, il est vrai, bien plus qu’un long poème ; M. Georges Tholin, encore un poète celui-là, un poète excellent doublé d’un éminent archéologue ; enfin le Gontaudais, heureux de se trouver en aussi parfaite compagnie et tenant tête, d’une part, à ceux qui montraient le plus de gaîté, et, d’autre part, à ceux qui montraient le plus d’appétit ! Tout le monde, ce jour là, avait une verve étincelante, mais personne n’en avait autant que Madame Marie. La verve était chez elle une qualité dominante ; c’était comme une de ces sources vives et jaillissantes qui jamais ne sont taries. La verve de sa parole se retrouve dans tout ce qu’elle a écrit et donne à tout une singulière saveur. Qu’il s’agisse de ses lettres intimes, de ses souvenirs de famille ou de ses souvenirs d’agenaise[1], sa prose rapide semble avoir des ailes ; il s’en dégage quelque chose de communicatif, d’entraînant, d’électrique ; certaines pages sont particulièrement délicieuses.

Revenons à un sujet qui m’est cher entre tous, l’amitié de Madame de Raymond. Avant de terminer cette causerie, bien irrégulière, on le voit, et bien capricieuse, je tiens à rappeler

  1. Madame de Raymond, l’été dernier, m’a confidentiellement donné lecture de ses doubles souvenirs. Ce fut pour moi un régal sur lequel la discrétion me défend d’insister. Mais je puis sans le moindre scrupule parler d’un autre manuscrit, dont mon amie m’a remis, quelques semaines avant sa mort, une copie faite par elle-même. Ce manuscrit, intitulé Comment je travaille, est rempli de révélations et d’appréciations intéressantes. Ce fragment d’autobiographie ne mériterait que des éloges si la modestie excessive de l’auteur n’y faisait sa part trop petite et si sa non moins excessive bienveillance n’y faisait, au contraire, la part d’un de ses amis trop grande : c’est la mienne que je veux dire.