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cieuse doctrine etoit repandue[1]. L’Evesque se saisit de ces lettres, les envoya à Rome à l’Inquisition : les cardinaux en parlèrent au Pape, qui eut bien de la peine à se rendre ; mais enfin vaincu par l’autorité de ce terrible tribunal, il donna les mains à la saisie de cet homme. On entra chez luy durant la meridienne ; on luy trouva bien 17,000 livres en or et en argent avec une prodigieuse quantité de lettres et de mémoires, qui decouvrirent à nud ses miseres. L’impureté avec quelques unes des dames qu’il dirigeoit est ce qui a le plus choqué les oreilles chastes[2]. Dans le tintamarre de cette capture, un prelat napolitain, à qui le Pape avoit ordonné de sortir de Rome pour avoir imprimé au Vatican un livre sans permission, et qui restoit dans Rome incognito, entendant le bruit si près de luy (car sa chambre touchoit à celle de Molinos), s’éveilla en sursaut, et croyant que c’estoit à luy qu’on en vouloit, il s’enfuit en chemise et calleçons sur le toit de sa maison ; de ce toit il courut à un autre, et de cet autre à celuy des Religieuses dominiquaines, qui n’etoient pas eloignées de luy. Quand ces bonnes filles virent en plein jour un grand homme blanc sur leur toit qui descendoit chez elles, elles crierent, furent à luy avec des bâtons, des perches et des ballays ; enfin, elles avertirent le gouverneur de Rome. Le pauvre prelat avoit beau leur faire signe de ne dire mot, et qu’il ne venoit pas à mauvaises intentions, elles n’en firent que plus de bruit, qui se tourna en risée, dont on fit part au bon Pape, pour adoucir l’amertume qu’il ressentoit dans le cœur de la catastrophe arrivée à son ancien ami Molinos, qu’il adoroit, le croyant un saint, et celuy qui, avec sa pieuse bende (sic), attiroit les benedictions du ciel sur l’Eglise[3].

Je suis avec beaucoup de respect, Monsieur, vostre tres humble et tres obeissant serviteur.

Fr. Michel Germain, M. B.
  1. Rappelons que deux des plus beaux génies de l’Église catholique au dix-septième siècle, Bossuet et Fénelon, ont condamné avec la même énergie la doctrine de Molinos.
  2. Le témoignage est d’autant plus accablant, que Dom Germain était un plus honnête religieux.
  3. Connaissait-on cette amusante scène ? Était-il possible de mieux la raconter ?