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puissance de l’effort quotidien ? On a mis sur les lèvres d’un des plus grands peintres de l’antiquité ce mot qui expliquait la prodigieuse fécondité de son beau génie : pas un jour sans tracer une ligne ! L’effet sans cesse renouvelé, c’est le moyen d’obtenir à la longue, dans l’ordre physique comme dans l’ordre intellectuel, d’invraisemblables victoires[1].

Quand Mlle  Gonin vint habiter Gontaud, les occasions d’achat directs devinrent plus rares et moins avantageuses. Il fallut s’adresser aux bouquinistes des grandes villes et, d’après leurs catalogues, faire venir de Paris, de Lyon, de Bordeaux, etc., les ouvrages destinés à compléter la collection déjà considérable apportée de Bourgogne. D’heureuses rencontres permirent à Mlle  Gonin de mettre dans sa volière quelques-uns de ces oiseaux rares, de ces merles blancs, que les bibliophiles appellent leurs desiderata. À force de chercher et à force d’attendre, elle arriva, de bonne fortune en bonne fortune,

  1. — M. R. Dezeimeris (opuscule déjà cité) a signalé (p. 2) les magnifiques résultats de « la besogne qui se répète exactement chaque jour ». J’aime à rapprocher de cette citation deux autres citations frappantes empruntées à deux publications toutes nouvelles. M. René Kerviler, l’excellent historien de l’Académie française, dit à ses enfants, en leur dédiant sa Bibliographie chronologique, composée de 112 articles (Saint-Nazaire, décembre 1884, in-8o  de 30 p.) : « Je n’ai pas voulu que vous ignoriez ce que peut produire la continuité soutenue du travail. Rappelez-vous, toute votre vie, qu’une heure par jour donne par an 365 heures, c’est-à-dire 36 journées de dix heures, ou un mois et demi de travail plein. On m’a souvent demandé comment je pouvais allier une pareille fécondité littéraire avec mes devoirs professionnels. Là est tout mon secret. » D’autre part un éminent bibliophile, M. Emile Picot, dans la touchante notice qu’il consacre au baron James de Rothschild en tête du tome Ier de l’inappréciable Catalogue des livres de ce dernier (Paris, 1884, grand in-8o , p. 11) répond ainsi à ceux qui ont demandé comment le très regretté possesseur d’une des plus belles bibliothèques connues (mort à 36 ans) a pu suffire à de si nombreux travaux : « C’est qu’il avait un ordre et une méthode inflexibles. Quand il avait entrepris un ouvrage quelconque, il n’eût voulu pour rien au monde laisser passer un seul jour sans y consacrer au moins quelques instants. S’il copiait un mystère, il ne se serait jamais couché sans avoir transcrit, ne fût-ce que vingt ou trente vers, pour sauver le principe. Il avait sans doute relu bien des fois l’épître dans laquelle le vieux Jehan Bouchet insiste sur les résultats inattendus que peuvent produire quelques heures d’un travail quotidien. »