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martyr de mon État, comment vous trouvez-vous de vos blessures ? — Sire, lui répondit Filhot, toutes les fois que j’ai l’honneur de voir Votre Majesté, elles me deviennent plus chères. » Nous doutons fort de l’anecdote si indulgemment accueillie par M. Communay. D’abord, quoi qu’on en dise dans les lignes ci-dessus, le ton et le style de l’interpellation royale sont fort peu vraisemblables. Louis XIV parlait toujours avec une grave simplicité, et nous ne parvenons pas à nous le représenter saluant Filhot de ce titre pompeux : Martyr de mon État ! Mais sur quelle autorité s’appuie donc le trop peu sceptique philosophe pour reproduire le dialogue à sensation du jeune roi et du bon citoyen ? Quel est le chroniqueur contemporain qui garantit l’authenticité des ronflantes paroles ainsi échangées ? Qui donc, en tout le dix-septième siècle, soit à Bordeaux, soit ailleurs, a jamais fait la moindre allusion à un colloque aussi singulier ? Sait-on où l’on trouve, non la phrase digne du solennel M. Prudhomme attribuée au grand roi et qui n’est nulle part, mais la prétendue réponse de Filhot ? Dans l’épitre dédicatoire à ce dernier, déjà mentionnée, et où nous lisons (p. 92) : « Pour moi ; je confesse ingénuement, Sire, que touttes ces douleurs me sont devenues chères, lorsque après avoir eu l’honneur de voir Vostre Majesté, je considère que c’est pour Elle que je les ay souffertes. » C’est à l’aide de cette phrase, écrite le 15 janvier 1654, au retour du voyage de Filhot à Paris, qu’a été fabriquée l’historiette rattachée, en dépit de tous les obstacles, à l’année 1660.