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DOCUMENTS INÉDITS SUR GASSENDI.

Je luy ay souventes fois ouy dire qu’il avoit plus estudié la nuict (sic) que le jour, qu’il avoit veillé une infinité de nuicts entières, principalement en sa jeunesse, tant l’amour des lettres luy estoit à cœur, et qu’il les chérissait de son propre mouvement, sans y avoir esté excité par aucune personne, aucun des siens ny de ses voisins n’ayant cultivé les Muses.

L’on peut dire que parmy les rochers tout escharpez, dans les neiges dont son pays est environné, cete belle fleur nasquit glorieusement pour l’ornement des letres et des siens.

Dans sa jeunesse, il s’amusoit à lire toutes sortes de livres (et ne manquait pas) de les parcourir entièrement depuis le premier feuillet jusqu’au dernier.

Peu à peu connoissant les bons, il délaissa tous ceux qui ne contenaient point une doctrine solide, et s’appliqua tout de bon à la vraye philosophie, à séparer ce qu’il y a de bon dans les autheurs d’avec ce qui ne vaut rien, à connoistre parfaitement les bons autheurs, la belle latinité et à sçavoir à fonds les langues grecque et latine, par le moien desquelles il a fait et monstré de grands progrez par les beaux livres qu’il a donné au public.

Il avoit une si grande facilité du grec que sans livre et sur le champ les vers latins il les tournait en grecs, et les grecs en latins, tousjours avec la mesme façon de vers, et de toutes les autres sortes qu’on désiroit[1].

Il connoissoit aussi fort bien la langue hébraïque, et s’en louait en des passages aux occurences ; l’on en voit dans ses escrits[2].

Il avoit tousjours cultivé si bien sa mémoire qu’il sçavoit presque tous les autheurs par cœur et se rescouvroit fort bien des endroicts où ils traitoient telle et telle chose.

Ce qui est admirable, il sçavoit par cœur et récitait souvent à par soy en voyage ou en maladie, pour se désenuyer, toute une suite de six mil vers latins des plus beaux qu’il avoit tiré des poètes moraux[3]. Il avoit la mémoire si excellente qu’il n’oublia pas ce qu’une fois il avoit appris par cœur. Il sçavoit encore tout son Despautere par règle, etc.[4].

Son estude principale estoit le matin, se levant tous les jours dès trois ou quatre heures, et ne quittant point sa table qu’il ne fut l’heure de disner ou que quelque compagnie luy survint.

Après disner, il s’entretenoit une couple d’heures avec la compagnie, puis s’alloit promener une heure ou deux dans les jardins et se remettoit

  1. Les biographes de Gassendi ne nous avaient rien dit de tous ces tours de force.
  2. L’abbé Taxil affirme, dans l’oraison funèbre de Gassendi, que, lors de la soutenance des thèses de 1621, son prédécesseur répondit en grec et en hébreu aux arguments qu’on lui adressa. Dans une lettre à Peiresc de l’année 1630, citée par Bougerel (p. 89), on voit que Gassendi employait, tous les jours quelques heures, avec Luillier, à l’étude de la langue arabe.
  3. Bernier, dans la préface de son abrégé, nous avait déjà parlé de la quantité prodigieuse de vers grecs, latins et français choisis par Gassendi dans tous les poëtes et qu’il avait appris par cœur, prétendant qu’il savait six mille vers latins, sans compter tous les vers de Lucrèce, et qu’il en récitait tous les jours six cents, en se promenant, afin de se délasser l’esprit.
  4. On sait que Jean Despautére, qui était le Lhomond de ce temps-là, publia son rudiment dans les premières années du XVIe siècle (1512).