Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme un célèbre artisan[1] ; mais sa manière de vivre et de parler y attiroit plus les gens que ses ouvrages. Son cabinet étoit pourtant assez curieux : il y avoit sur l’escalier une grande paire de cornes, et au bas : « Regardez les vôtres ; » et au bas de ses livres : « Le diable emporte les emprunteurs de livres. »

Il y avoit une tablette où il avoit écrit : Tablette des sots : le père Arnoul, confesseur du Roi, qui étoit un glorieux Jésuite, lui demanda qui étoient ces sots. « Cherchez, cherchez, lui dit-il, vous vous y trouverez. » Un autre Jésuite s’y trouva effectivement, et lui ayant demandé pourquoi, sans se nommer, Du Moustier lui répondit en grondant, car il n’aimoit point les Jésuites : « Parce qu’il a dit que Henri IV avoit été nourri de biscuits d’acier. » À propos de livres, il contoit lui-même une chose qu’il avoit faite à un libraire du Pont-Neuf, qui étoit une franche escroquerie ; mais il y a bien des gens qui croient que voler des livres ce n’est pas voler, pourvu qu’on ne les revende point après. Il épia le moment que ce libraire n’étoit point à sa boutique, et lui prit un livre qu’il cherchoit il y avoit long-temps. Je crois que la plupart de ceux qu’il avoit lui avoient été donnés.

Il savoit par cœur plus de la moitié de deux volumes in-folio de deux ministres, Aubertin et Le Fau-

    reusement des personnages inconnus. Le père de Du Moustier étoit peintre, et dessinoit le portrait dans le même genre. Le Recueil de Sainte-Geneviève contient beaucoup de portraits du temps de Charles IX, qui sont nécessairement les ouvrages du père.

  1. Le mot artisan exprimoit encore, sous la minorité de Louis XIV, un excellent ouvrier dans les arts libéraux. Artiste, dans le sens d’ouvrier, qui travaille avec esprit et avec art, se trouve dans le Dictionnaire de Richelet ; Genève, 1680.