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rue, une fille qui pleuroit ; sa maîtresse la venoit de chasser. Il la trouva assez jolie : il lui demanda si elle vouloit venir servir sa femme ; elle y va : mais elle fut bien étonnée quand elle vit que ce n’étoit qu’un garçon. Il lui offre la moitié de son lit ; elle le refuse : il l’enferme et la tient six semaines à la prendre tantôt par menaces, tantôt par douceur. Enfin, il en vient à bout, mais il s’en lassa bientôt, et lui demanda si elle vouloit continuer le métier ou se remettre à servir. Elle aima mieux se remettre à servir : il la paya bien, et lui fit trouver condition. Il étoit sujet à faire de ces tours-là. Il leur prit une plaisante vision au chevalier de Miraumont et à lui : ils firent attacher à la poulie de leur grenier un grand panier d’armée, et prirent deux gros crocheteurs, qui, quand il passoit quelque jolie fille, en riant, la mettoient dans ce panier, et puis la guindoient en haut. La fille n’avoit pas sitôt perdu terre qu’elle ne pensoit qu’à se bien tenir. Quand elle étoit en haut, si les deux galants, qui l’y attendoient, ne la trouvoient pas de leur goût, elle retournoit incontinent par la même voie ; mais si elle leur plaisoit, ils en faisoient ce qu’ils pouvoient.

Il cajola, je ne sais où, la veuve d’un bourgeois nommé Brunettière. Cette femme étoit jolie, jeune et sans enfants ; et quoique cet homme-là parût extravagant et mal bâti, car il étoit tout percé de coups et quasi estropié, elle se mit pourtant si bien dans la tête qu’il la vouloit épouser, que quoiqu’il lui eût dit depuis mille fois qu’il n’y avoit jamais pensé, et qu’il en disoit autant à toutes les veuves et à toutes les filles, elle ne laissa pas de le croire, de l’aimer et d’être dans une