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(mais en quelles terres !) outre les meubles et les cinquante mille écus. Miossens n’attendit pas son congé, comme Jersay ; il se maria avec mademoiselle de Guenegaud. Quand madame de Rohan vit cette infidélité, elle envoya chercher Le Plessis-Guenegaud, alors trésorier de l’Épargne, frère de la demoiselle, et lui dit qu’il prît bien garde à qui il donnoit sa sœur ; que Miossens étoit un perfide qui les tromperoit ; qu’il n’avoit rien ; que ce n’étoit qu’un misérable cadet ; que sa charge n’étoit point à lui, qu’elle lui en avoit prêté l’argent ; qu’il étoit vrai qu’elle n’en avoit point de promesse, mais qu’elle l’alloit obliger à faire un faux serment, et qu’au moins elle auroit la satisfaction de le faire damner.

On peut dire que madame de Rohan est celle qui a commencé à faire perdre aux jeunes gens le respect qu’on portoit autrefois aux dames, car, pour les faire venir toujours chez elle, elle leur a laissé prendre toutes les libertés imaginables.

Quoique veuve, elle tenoit table et avoit toujours quelque belle voix ; il y avoit tous les jours chez elle sept ou huit godelureaux tout débraillés, car ces hommes étoient presque en chemise de la manière qu’ils étoient vêtus. Depuis on n’a pas tiré sa chemise sur ses chausses, comme on faisoit alors. Ils se promenoient en sa présence, par la chambre ; ils rioient à gorge déployée, ils se couchoient ; et, quand elle étoit trop long-temps à venir, ils se mettoient à table sans elle.

La retraite de mademoiselle de Rohan chez sa tante parut aux gens qui ne savoient pas l’affaire, une résolution digne du courage et de la vertu de mademoiselle de Rohan. La cabale de Chabot eut désormais ses