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pour la réduire à l’épouser[1]. Depuis cela, les sœurs de Chabot, madame de Pienne leur parente, aujourd’hui la comtesse de Fiesque, et mademoiselle de Haucour servirent Chabot, et, pour le voir plus commodément, mademoiselle de Rohan alla loger chez sa tante mademoiselle Anne de Rohan, bonne fille, fort simple, quoiqu’elle sût du latin et que toute sa vie elle eût fait des vers ; à la vérité ils n’étoient pas les meilleurs du monde.

Sa sœur, la bossue[2], avoit bien plus d’esprit qu’elle : j’en ai déjà écrit un impromptu. Elle avoit une passion la plus démesurée qu’on ait jamais vue pour madame de Nevers, mère de la reine de Pologne. Quand elle entroit chez cette princesse, elle se jetoit à ses pieds et les lui baisoit. Madame de Nevers étoit fort belle, et elle ne pouvoit passer un jour sans la voir ou lui écrire, si elle étoit malade : elle avoit toujours son portrait, grand comme la paume de la main, pendu sur son corps de robe, à l’endroit du cœur. Un jour, l’émail de la boîte se rompit un peu ; elle le donna à un orfèvre à raccommoder, à condition qu’elle l’auroit le jour même. Comme il travailloit à sa boutique, l’émail s’envoila[3], comme ils disent, parce

  1. On conte une autre chose de Ruvigny, qui est un peu plus raisonnable. Quand M. le Grand fut arrêté, le grand-maître dit à Ruvigny : « Ah ! pour cette fois-là on vous convaincra, car on a le traité d’Espagne. — Monsieur, lui dit Ruvigny, je suis serviteur de M. le Grand, quand je le verrois je démentirois mes yeux. » Le grand-maître en fit plus de cas encore qu’il n’avoit fait par le passé. (T.)
  2. Mademoiselle de Rohan la bossue avoit demandé la permission de faire une espèce de couvent de filles à une terre qu’elle avoit. On lui dit qu’on le vouloit bien, mais qu’après sa mort on donneroit cette terre au plus proche monastère de Dames. (T.)
  3. S’enleva, ne s’appliqua pas. (T.)