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selle, lui disoit-il, je ne veux point vous obliger à m’aimer toujours, avouez-moi l’affaire ; je ne veux seulement que ne point passer pour votre dupe. — Ah ! répondit-elle, voulez-vous qu’il sache l’avantage que vous avez sur moi ? il le saura si je le fais retirer, car il dira que je n’ai osé à vos yeux en aimer un autre : mais donnez-moi encore deux mois. — Bien, dit-il. » Et pour passer ce temps-là avec moins de chagrin, il s’en alla en Angleterre voir le comte de Southampton, qui avoit épousé madame de la Maison-Fort, sa sœur[1]. Le prétexte fut le duel de Paluau,

    jolie, et lui dit si elle ne feroit pas bien ce que sa maîtresse avoit fait, et qu’il le lui feroit, si non voir, du moins entendre. Elle le lui promit. Le lendemain, comme il entroit à sept heures du matin dans la chambre de mademoiselle de Rohan, les fenêtres étant fermées, il se fit suivre par cette fille, qui, pieds-nus, se glissa dans un coin. Ruvigny fit des reproches à mademoiselle de Rohan de sa légèreté, et lui dit qu’après ce qui s’étoit passé entre eux, etc., etc. Jeanneton fut persuadée de la sottise de sa maîtresse ; mais pour cela n’en voulut pas faire une. (T.)

  1. La sœur de Ruvigny étoit une fort belle personne : elle fut mariée, en premières noces, avec un gentilhomme du Perche, nommé La Maisonfort. Cet homme s’enivra de son tonneau, et de telle sorte, que quand on lui dit qu’il y prît garde, il répondit qu’il falloit mourir d’une belle épée. Il en mourut en effet. La voilà veuve : c’étoit une coquette prude, je ne crois pas que personne ait couché avec elle ; mais c’étoit galanterie plénière. Saint-Pradil, de la maison de Jussac, en Angoumois, a été le plus déclaré de tous ses galants : il lui donnoit, fort souvent des divertissements qu’on appeloit des Saintes Pradillades ; c’étoit des promenades où il y avoit les vingt-quatre violons et collation. Un jour qu’ils revenoient de Saint-Cloud un peu trop tard, ils versèrent sur le pavé, le long du Cours. Il y avoit sept femmes dans le carrosse : il crioit : « Madame de la Maisonfort, où êtes-vous ? » Chacune contrefaisoit sa voix, et disoit : « Me voici ; » puis quand il l’avoit tirée, et qu’il voyoit que ce n’étoit pas elle, il les laissoit là brusquement, et avoit envie de les jeter dans l’eau. Il ne la trouva que toute la dernière.