Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

haut. » Il savoit bien que ce n’étoit pas avec la mère ; il se douta aussitôt de quelque chose. La mère s’en doutoit aussi : les laquais de Ruvigny répondoient franchement, car il ne leur disoit rien de peur qu’ils ne causassent.

Un idiot d’ambassadeur de Hollande nommé Languerac dit un jour naïvement à mademoiselle de Rohan : « Mademoiselle, n’avez-vous point perdu votre pucelage ? — Hélas ! monsieur, dit la mère, elle est si négligente qu’elle pourroit bien l’avoir laissé quelque part avec ses coiffes. »

Enfin, comme toutes choses ont un terme, mademoiselle de Rohan ne s’en voulut pas tenir à Ruvigny seul : elle aimoit à danser ; il n’étoit nullement homme de bal, ni de grande naissance, ni d’un air fort galant. Le prince d’Enrichemont, aujourd’hui M. de Sully, y mena Chabot, son parent et parent de madame de Rohan. Sous prétexte de danser avec elle, car il dansoit fort bien, il venoit quelquefois chez elle le matin. Ruvigny, averti de tout par Jeanneton, la femme-de-chambre, qui n’avoit été en aucune sorte de la confidence que depuis que Chabot commençoit à en conter à mademoiselle de Rohan, encore ne savoit-elle point que sa maîtresse eût été éprise de Ruvigny, mais elle croyoit seulement que ce qu’il en faisoit étoit pour empêcher qu’elle ne fît une sottise ; Ruvigny, voyant que la chose alloit trop avant, lui en dit son avis plusieurs fois. Enfin, elle lui promit de chasser Chabot dans quinze jours : au bout de ce temps-là, c’étoit à recommencer[1]. « Mais, mademoi-

  1. Dans le mal au cœur qu’avoit Ruvigny ne se souciant plus tant de mademoiselle de Rohan, il voulut débaucher Jeanneton, qui étoit