Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mun, qui avoit une compagnie au régiment de la marine, et ce régiment étoit en garnison vers Caudebec. Ruvigny lui donne trois hommes affidés, mais qui pourtant ne savoient point qui étoit cet enfant : il prend, avec cela, quelques soldats ; ils enfoncent la porte de la maison, et enlèvent Tancrède, âgé alors de sept ans. On le mène en Hollande. Là, Souvetat, frère de Barrière, capitaine d’infanterie au service des États, le reçoit et le met en pension comme un petit garçon de basse naissance. Je mettrai l’histoire de Tancrède[1] tout de suite. Quelques années après, mademoiselle de Rohan fut si étourdie qu’elle conta cette histoire à M. de Thou, comme pour lui en demander conseil. Il se moqua de la frayeur qu’elle en avoit, et cela fut cause que sur la fin elle négligea de payer sa pension, bien loin de l’envoyer aux Indes. M. de Thou, qui ne taisoit que ce qu’il ne savoit pas, l’alla, dès le jour même, conter à madame de Montbazon, qui y avoit intérêt à cause de la maison de Rohan, dont étoit M. de Montbazon. Barrière y étant allé : « Ah ! petit Menin, lui dit-elle (tout le monde l’appeloit ainsi), vous faites bien le fin ! » et lui conta tout. Il le nia. « Je le sais, dit-elle, de M. de Thou, à qui mademoiselle de Rohan l’a dit. » Barrière rapporte cela à Ruvigny, qui en gronda fort mademoiselle de Rohan. M. de Thou ne lui voulut jamais avouer ; mais elle le lui avoua. Ce Saint-Jean-Bouche-d’Or ne se contenta pas de cela ; il le dit à plusieurs personnes et même à la

  1. Il a été publié à Liége, en 1767, une Histoire de Tancrède de Rohan avec quelques autres pièces. (Bibliothèque historique de la France, n° 32051, t. 3, p. 181.)