Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reilles choses. Haute-Fontaine entreprit pourtant d’en venir à bout. Il va trouver l’archevêque et lui dit d’un ton dolent qu’il avoit une étrange infirmité ; qu’à la seule vue du poisson, tout son sang se tournoit, qu’il pâlissoit, frémissoit, tomboit en foiblesse ; que c’étoit une antipathie naturelle qu’il n’avoit jamais pu surmonter. L’archevêque en eut pitié, et lui accorda la dispense. Comme il fut question de l’écrire, il ajouta qu’il avoit encore une autre incommodité bien plus grande que la première ; c’est qu’il étoit travaillé d’une faim canine qui l’obligeoit à manger autant que trois ; que, pour cacher cette maladie, quand il étoit hors de chez lui, il demandoit toujours à manger pour lui et pour deux autres, et payoit comme pour trois. Il lui allégua sans doute l’exemple de cet évêque dont il est parlé dans la Vie de M. de Thou, qui ne pouvoit vivre s’il ne mangeoit amplement sept ou huit fois par jour ; tant il y a, qu’il parla si bien et si sérieusement que le bon archevêque le crut, et mit dans la dispense qu’on lui donnât de la viande pour lui et pour deux de ses compagnons. Ainsi, MM. de Rohan et de Soubise, qui apparemment étoient là incognito, firent le carême bien à leur aise.

On dit encore qu’en une hôtellerie en France il battit cinq ou six sergents ou recors, qui faisoient un bruit de diable, et vouloient mener quelqu’un en prison : les sergents firent leur plainte devant le juge du lieu. Ceux qui voyageoient avec Haute-Fontaine le grondèrent de ce qu’il les avoit ainsi embarrassés ; mais il leur dit qu’il y donneroit bon ordre. Il fut donc trouver le juge avec eux ; et, après lui avoir fait cent contes, il le pria de les expédier et de lui permettre de