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tout à son aise. Esprit, l’académicien, qui étoit alors à M. le chancelier, étant familier chez elle, se mit à lui en conter. Il l’aima quelque temps sans découvrir sa folie. Elle étoit belle et avoit de l’esprit. Un jour qu’il ne s’étoit pas trouvé quelque part : « Si vous pensiez, lui dit-elle, me faire encore de ces tours-là, je m’en irois à Meaux. » Cela lui sembla si extravagant qu’il lui répondit : « Et moi, j’irois à Pontoise. » Ensuite, elle lui conta mille visions. Il dit que de sa vie il n’a été si surpris. Elle l’envoya un jour quérir. Il la trouva sur un lit, les bras pendants, pâle, défigurée, un chien expirant à ses pieds, une écuelle pleine de brouet noir. « Hé bien ! lui dit-elle d’une voix dolente, vous voyez, » et se mit à lui conter, avec un million de circonstances bizarres, combien de fois depuis cinq ans elle avoit pensé être empoisonnée par son mari. Après elle se jette dans un couvent : le chancelier prend l’affirmative pour elle. Le mari, qui étoit absent et amoureux d’elle, étoit pourtant bien embarrassé d’avoir un chancelier de France sur les bras. Au bout de quinze jours cette fantaisie passe à cette folle ; elle écrit à son mari qu’elle le vouloit aller trouver, et qu’il vînt au-devant d’elle. Il y vint : les voilà les mieux du monde ensemble. Elle ne vouloit que faire parler et avoir des aventures. L’aventure du poison lui avoit semblé belle. On a dit aussi que c’étoit pour entendre les plaintes de ses amants qu’elle avoit fait cette extravagance, et qu’elle s’étoit mise ensuite dans un couvent. Enfin, tout de bon, elle mourut de maladie au bout de quelques années, et employa les derniers moments de sa vie à conter à son mari combien elle avoit eu de galants, qui ils étoient, et jusqu’à quel