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dant un jour. Par ce moyen, vous et moi gouvernerons tout. » Après, elle lui dit qu’on se vouloit servir d’elle pour négocier en Flandre, et que M. le garde-des-sceaux[1] avoit fait faire pour cela de certains carrosses tirés par de cette sorte de chevaux dont nous venons de parler. « Je vous veux découvrir, ajouta-t-elle, la cause de la richesse de messieurs Seguier : elle vient d’une naine indienne qu’ils ont chez eux. Cette naine possédoit un grand trésor, et fut prise par les Espagnols ; mais, comme ils revenoient, les vaisseaux furent séparés par la tempête, et la naine, avec ses richesses, fut jetée sur une côte de France, où un des Seguier avoit un château. Il la reçut fort bien, et elle se donna à lui avec son trésor. Cette naine est prophétesse, et par les avis qu’elle donne, il est impossible, si on les suit, qu’on ne fasse une grande fortune : j’aurai communication avec elle, et je ne doute pas que nous ne supplantions bientôt le cardinal de Richelieu. »

Elle aimoit fort les confitures ; et, pour en avoir son soûl, elle fit accroire au marquis que la naine ne vivoit que de cela ; et cependant elle en faisoit des collations avec ses galants ; car le mari, persuadé de tout ce que sa femme lui avoit dit, promettoit à tous ses voisins des charges et des emplois, et recevoit toute la province chez lui, parce qu’elle lui avoit fait entendre qu’il falloit se faire connoître avant que d’être premier ministre. Après, ils viennent à Paris ; la cour sembloit bien plus plaisante à la dame que le Limousin. Elle n’en vouloit point partir : cela les brouilla si bien, qu’il s’en alla seul dans la province ; elle coquette ici

  1. Il n’étoit pas encore chancelier. (T.)