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bien ; et comme au Nord les docteurs sont conseillers d’État, Roussel lui plut tellement qu’il résolut de l’envoyer ambassadeur en Moscovie avec le marquis, l’un pour sa qualité et l’autre pour son savoir. Ils partent tous deux avec l’ambassadeur de Moscovie, qui s’en retournoit. Le marquis avoit un si grand train, et lui et Roussel faisoient si bonne chère, qu’avant que d’arriver à Constantinople ils eurent mangé une bonne partie de leur argent : ils prirent cette route parce que l’ambassadeur de Moscovie y avoit affaire. Roussel, qui crut que leur nécessité venoit du mauvais ménage des officiers du marquis, y voulut mettre ordre, et se voulut charger de la dépense. En effet, il entreprit pour une certaine somme de les rendre tous à Moscou ; mais il avoit mal pris ses mesures, car l’argent manqua à mi-chemin, et le marquis fut contraint de prendre tout ce que ses gentilshommes pouvoient avoir, qui, en colère de cela, dirent quelques injures à Roussel, mêlées de quelques coups de poing ; ce qui le piqua tellement qu’il jura de s’en venger, et pratiqua si bien l’ambassadeur de Moscovie, qui étoit neveu du patriarche, que le grand-duc envoya le marquis en Sibérie, où il fut trois ans prisonnier, mais dans une prison si rude, qu’on ne lui portoit à manger que par une lucarne[1].

  1. Le voyageur Oléarius a prétendu que Charles de Talleyrand, marquis d’Exideuil, avoit le caractère d’ambassadeur. Ce point a donné lieu à des discussions critiques. Voltaire, au paragraphe 8 de la préface de l’Histoire de l’empire de Russie, a réfuté l’erreur du voyageur. Le prince Labanoff, associé étranger des bibliophiles françois, qui a publié dans notre langue le Recueil de pièces historiques sur la reine Anne ou Agnès, épouse de Henri Ier (Paris, 1825, in-8o), a réfuté victorieusement Oléarius dans une lettre adressée au rédacteur du Globe,