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leur porter leurs porte-feuilles. Or, comme il arrive quelquefois que les valets ont autant ou plus d’esprit que leurs maîtres, il profita plus qu’eux au collége, et devint si habile, principalement en grec, que feu M. de Bouillon[1] lui donna sa bibliothèque à gouverner, avec deux cents livres de pension. Voilà son premier établissement. Ensuite M. Ostorne le considéra davantage, et le fit manger à table avec les pensionnaires ; il leur faisoit répétition, et avoit vingt écus de chacun par an. Après avoir été quelques années en cet état, il vint à se débaucher ; de sorte qu’il faisoit fort mal son devoir, et ne revenoit que la nuit. Ensuite il fut fait régent de la première. Durant ce temps-là il vint des seigneurs polonois à Sédan, qui le prirent pour les instruire ; et comme on ne touche pas toujours de l’argent à point nommé quand il vient de si loin, et que peut-être il leur faisoit faire la débauche, il fut contraint de s’engager pour eux, et la somme montoit à trois ou quatre mille francs. Ces messieurs les Polonois, voyant que leur argent ne venoit point, partirent sans dire adieu. Roussel, mis en action par les créanciers, qui se saisirent de sa personne, obtint délai, et s’achemina en Pologne, où les autres s’étoient déjà rendus. Ils le reçurent avec toute la civilité imaginable, et ne lui rendirent pas seulement la somme dont il avoit répondu, mais lui payèrent largement son voyage pour l’aller et pour le retour. Cependant Roussel, qui étoit adroit et entreprenant, ayant rencontré une heureuse conjoncture pour lui, car il étoit question d’élire un roi, et il étoit très-versé à faire des harangues, se fit connoître

  1. Le premier duc de Bouillon, père du dernier mort. (T.)