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d’honneur, M. de Brassac eut le brevet de ministre d’État.

Madame de Brassac étoit une personne fort douce, modeste, et qui sembloit aller son grand chemin ; cependant elle savoit le latin, qu’elle avoit appris en le voyant apprendre à ses frères : il est vrai qu’à l’exemple de son mari, elle n’avoit rien lu de ce qu’il y a de beau en cette langue, mais s’étoit amusée à la théologie, et un peu aux mathématiques. On dit qu’elle entendoit assez bien son Euclide. Elle ne songeoit guère qu’à rêver et à méditer, et avoit si peu l’esprit à la cour, qu’elle ne s’étoit corrigée ni de l’accent landore[1] ni des mauvais mots de la province. J’ai dit ailleurs comme madame de Senecey fut chassée. Le cardinal jeta les yeux sur madame de Brassac ; je veux croire que le père Joseph n’y nuisit pas. Elle dit au cardinal qu’elle se sentoit plus propre à une vie retirée qu’à la vie de la cour ; qu’il en trouveroit d’autres à qui cette charge conviendroit mieux ; et qu’au reste elle ne pouvoit lui faire espérer de lui rendre auprès de la Reine tous les services qu’il pourroit peut-être prétendre d’elle. Cela n’y fit rien : la voilà dame d’honneur. Elle s’y comporta si bien qu’elle contenta la Reine et le cardinal, quoique l’Évangile dit que nul ne peut servir à deux maîtres. La Reine s’en louoit à tout le monde : ce n’étoit pas peu pour une personne qui avoit été mise auprès d’elle de la main de son ennemi. Si madame de Brassac entra dans cette charge sans beaucoup de joie, elle en sortit aussi sans grande tristesse. Le Roi mort, on fit revenir tous les exilés, durant le

  1. Manière de parler traînante.