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belle, mais elle étoit propre ; on en a médit avec plus d’une personne. Le comte de Clermont de Lodève, qu’on appeloit en sa jeunesse le marquis de Sessac, se vantoit d’avoir couché avec elle. Elle a payé le comte de Harcourt assez long-temps. On a parlé d’un chanoine de Notre-Dame, nommé Thevenin, et il n’y a pas plus de quatre ou cinq ans qu’il y a eu de la rumeur en ménage pour un certain maître d’hôtel qui n’étoit pas mal avec elle, sans compter les moines, car elle est dévote, et les dévotes sont le partage des frères frapparts. C’est une des plus avares femmes du monde. Tous les officiers que le chancelier reçoit lui doivent six aunes de velours ou de satin, selon la charge qu’ils ont. Le chancelier de Sillery les recevoit, mais il les rendoit, et pour cela il y avoit six aunes de chacune de ces étoffes, chez un certain marchand, qui étoient banales, s’il faut ainsi dire, et qu’on louoit un écu ; car on savoit bien que le chancelier les renverroit. La chancelière a raffiné sur cela. On dit à l’officier : « Allez-vous-en chez un tel marchand, et lui payez les six aunes. » Puis quand la somme est assez grosse, comme elle en tient registre, elle va lever un ameublement : de là vient qu’on l’appelle la fripière[1].

Le cardinal de Richelieu partagea avec lui pour ses filles ; il en maria l’une, et lui laissa marier l’autre. M. de Coislin, parent du cardinal, petit bossu, mais qui avoit du cœur et étoit de bonne maison,

  1. Je me souviens que le jour de Saint-Joseph, aux Mathurins, où l’abbé de Cerisy prêchoit, on avoit habillé saint Joseph d’une robe de M. le chancelier, et la Vierge avoit la cravate de madame d’Aiguillon. (T.)