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donner du nez en terre, il n’a plus craint le serein, et n’a pas eu le moindre étouffement.

Son second fils, qu’on appelle M. de Raincy, étant allé à Rome, y passa pour le plus fou des François qui y eussent encore été. Il avoit mis des houppes rouges[1] à ses chevaux de carrosse comme un homme de grande qualité : le Barigel lui en parla. Il lui ouvrit une cassette pleine de louis, et lui dit tout bas : « Qui a cela à dépenser en un voyage de Rome, peut mettre telles houppes qu’il lui plaît à ses chevaux. » Le Barigel vit bien que c’étoit un extravagant, et le laissa là. Il fit le galant de la princesse Rossane, et, pour faire connoissance, il battit un des estafiers de cette princesse en sa présence ; et, un jour qu’elle ne le regarda pas au Cours, il se mit les pieds sur la portière, et le chapeau renfoncé dans sa tête, et la morgua. Elle en rit. Il avoit accoutumé son cocher à courir à toute bride contre les carrosses où il y avoit des gens avec des lunettes sur le nez comme on en voit en quantité en ce pays-là. Il avoit une canne qu’il mettoit en arrêt comme une lance, et crioit : Au faquin, au faquin ! Entre chien et loup, il alloit par certaines rues tout nu, enveloppé d’un drap qu’il ouvroit quand il passoit quelque femme. L’opinion que l’on avoit que c’étoit un fou achevé lui sauva la vie, autrement on l’eût assommé de coups. Il fit faire des soutanes de tabis pour lui et pour quelques autres, afin de faire fric fric la nuit, et faire peur aux Italiens. De retour, comme on

  1. Cela est de grande qualité à Rome. Pour rire on l’a appelé un temps le chevalier Bordier ; il avoit été à l’Académie. (T.)