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rien, voyant que cette femme, qui pourtant ne manque pas de sens, s’ébranloit, a vite recours à madame Pilou, qui fut de l’avis de la fille. Elle disoit : « Ou il me demandera, son manteau sur les deux épaules, et comme on a accoutumé de faire, ou il ne m’aura pas. »

Nolet, premier commis de M. Jeannin, et alors commis de Fieubet, son oncle, se présenta : on fit le mariage. Madame Pilou fit l’affaire et la proposa. Bordier, au désespoir, s’en va en Hollande, et mademoiselle de Hère a fait depuis ce que mademoiselle Margonne n’avoit pas voulu faire. Ce qui l’avoit le plus irritée contre Bordier, c’est que cet homme, qui disoit qu’il ne souhaitoit rien tant qu’une belle-fille comme elle, dès qu’il vit son fils épris, il la traita le plus incivilement du monde, elle qui en usoit si bien. Elle a de l’esprit, de la vertu, du cœur ; c’est une personne fort raisonnable. Elle a eu du bonheur, car elle vit doucement avec son mari qui l’estime fort, et elle est estimée de toute la famille à tel point, qu’elle y est comme l’arbitre de tous leurs différends, et Bordier a été contraint de vendre sa charge : le jeu et les femmes l’ont incommodé, et on doute que le père soit à son aise. Cet homme n’en usa point mal en l’affaire de son fils, car il ne s’emporta point, ne dit rien contre la personne ; aussi auroit-il eu tort. Depuis il le lui a pardonné ; mais il n’y a pas de cordialité entre eux.

Avant la révocation des prêts, cet homme craignoit le serein, se serroit le nez quand le serein le surprenoit à l’air : il avoit sans cesse des étouffements. Depuis, quand il a fallu songer tout de bon à s’empêcher de