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est une pauvre espèce d’homme, s’est marié pour lui faire dépit, et voici d’où cela vient. Ce garçon devint amoureux de la fille du premier lit d’un M. Margonne, receveur-général de Soissons. La seconde femme de ce Margonne, dont nous parlerons ailleurs, étoit la bonne amie, pour ne rien dire de pis, de Bordier : ils étoient voisins. La fille étoit bien faite, elle a beaucoup d’esprit et beaucoup de cœur. Le jeune homme ne lui parle point de sa passion : il lui portoit trop de respect ; mais assez d’autres lui en parloient. Cela dura quatre ans qu’elle évitoit toujours sa rencontre, et on ne lui sauroit rien reprocher. Le fils en parle, ou en fait parler à son père, qui va trouver madame Pilou, et lui dit : « Après avoir bâti le Raincy (voyez la vanité de l’homme), irois-je dire à la Reine : Madame, je marie mon fils à Anne Margonne ? » Madame Pilou se moqua de lui, et lui dit que la Reine n’avoit que faire à qui il mariât son fils, et lui chanta sa gamme comme il falloit.

On dit à mademoiselle Margonne que si elle vouloit on l’enlèveroit. Elle répondit qu’on s’en gardât bien, et qu’elle ne le pardonneroit jamais. Ce garçon désespéré se jette dans un couvent ; le père ne savoit où il en étoit. La demoiselle ne l’ignoroit pas, et si elle eût daigné avertir le jeune homme d’y demeurer encore quelque temps, le bonhomme eût consenti à tout ; mais cette fille, qui avoit l’âme bien faite, ne voulut jamais rien faire qui ne témoignât du courage. Enfin il vint à dire qu’il lui donneroit sa charge de conseiller au Parlement avec douze mille livres de rente, et qu’on fît l’affaire sans l’obliger de signer. La fille, qui se conseilloit à sa belle-mère, car le père n’en savoit