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Il lui arriva une fâcheuse aventure du temps du cardinal de Richelieu. Son Éminence, en revenant de Charonne, pensa verser dans le faubourg Saint-Antoine, qui alors n’étoit point pavé ; au moins n’y avoit-il qu’une chaussée fort étroite au milieu, et dont le pavé étoit tout défait. Le cardinal le voulut faire paver, et demande à Bordier qu’il avançât dix mille écus pour cela ; ce fut à l’Arsenal qu’il lui parla. Bordier lui dit qu’il n’en avoit point. Le satrape n’avoit pas accoutumé d’être refusé : le voilà en colère ; il relègue Bordier à Bourges. En cette extrémité notre nouveau riche a recours à mademoiselle de Rambouillet[1] ; car ses affaires dépérissoient. Il avoit déjà en quelque rencontre éprouvé la bonté et le crédit de cette demoiselle. Elle fit si bien, par le moyen de madame d’Aiguillon, qu’elle obtint le rappel de Bordier ; mais pour se raccommoder avec le cardinal, il fallut qu’il avouât qu’il avoit perdu le sens, que ç’avoit été un aveuglement, et qu’il se mît à genoux. Mademoiselle de Rambouillet n’en fut guère bien payée ; car M. de Rambouillet ayant eu affaire de cet homme quelque temps après, il en fut traité si incivilement, qu’il demanda à celui qui le menoit[2] si c’étoit bien M. Bordier à qui il avoit parlé.

Laffemas fit cette épigramme :

Bordier pleure sa décadence,
Au lieu de se voir élevé

  1. Julie d’Angennes, depuis marquise de Montausier.
  2. On a vu que le marquis de Rambouillet, sur la fin de sa vie, étoit presque aveugle.