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Vous êtes vieille et laide. — Hé ! madame, répondit cette femme, je n’ai point de cheveux gris, regardez, et voilà encore toutes mes dents. — Cela n’y fait rien, reprit la bonne femme, voilà encore toutes les miennes, et j’ai pourtant quatre-vingts ans. Allez, madame, vous serez aussi bien à la campagne qu’à Paris : épousez ce marquis, épousez ce comte si vous voulez, je ne me mêle point de faire des mariages, et je me garderois bien de conseiller aux gens de vous épouser. »

« Il a fallu, disoit-elle, que je vécusse jusqu’à quatre-vingts ans pour désabuser le monde. On m’a crue une intrigante, moi qui toute ma vie n’ai fait que prêcher ces sottes femmes, sans y rien gagner : j’étois comme la servante de l’Arche, quand j’avois chassé les bêtes d’un endroit, elles y revenoient aussitôt. »

La pauvre madame Pilou déchoit furieusement : il falloit qu’elle mourût, il y a dix ans, quand le Roi et la Reine-mère, en passant devant chez elle, envoyoient savoir de ses nouvelles, et que toute la cour y alloit[1] ; elle avoit alors une fluxion sur les jambes qui la retenoit au logis. Dès que ses jambes l’ont pu porter, elle a couru partout. Elle a un défaut, c’est qu’elle n’a jamais su aimer à lire, ni à entendre lire. Elle s’ennuie dans sa maison ; cependant, quoiqu’elle ait fort bon sens, elle n’a plus guère de mémoire : elle ne voit quasi plus ni n’entend. Il faut qu’elle soit de

  1. Ce passage a été écrit par Tallemant à la marge du manuscrit, vers 1663 ou 1664. La Reine-mère mourut en 1666 ; cette circonstance fixe l’époque de la décrépitude de l’intéressante madame Pilou.