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n’ai rien à vous demander. Il n’y a peut-être que moi en France qui vous ose parler comme cela. »

Une des demoiselles de Mayerne dont nous avons parlé fut mariée en Angleterre avec un Italien, nommé le chevalier Brendi, qui a fait l’Éromène. Cette femme et madame Pilou avoient toujours eu soin de s’écrire. Au bout de quarante ans elles revinrent à se voir à Paris ; jamais on n’a vu une telle joie. Cela ne dura guère, car la Brendi, étant en nécessité, alloit en Suisse vivre dans une terre de sa nièce de Mayerne, riche héritière.

Il y a deux ans que madame Pilou trouva cinq cents livres à dire d’une somme qu’on lui avoit donnée à garder. Or, il n’y avoit que sa servante à qui elle se fioit comme à elle-même qui eût eu la clef de son cabinet. Cette fille, qui, en effet, étoit innocente, fit la fière assez sottement. Il y avoit tout sujet de croire que c’étoit elle. Elle la renvoya, et, bien loin de la mettre en justice comme on le lui conseilloit, elle lui paya deux cents livres qu’elle lui devoit de ses gages, disant : « Je ne veux point qu’on dise que j’ai fait une querelle à ma servante pour ne lui pas payer ses gages. » Depuis, il se trouva que celui-là même qui avoit donné à madame Pilou cet argent à garder, avoit escamoté ces cinq cents livres qui étoient dans un petit sac ; et que, s’en repentant après, il les lui rapporta, en disant de méchantes excuses. Elle rappelle sa servante, la prie d’oublier le passé, lui confirme la parole qu’elle lui avoit donnée de lui laisser deux cents livres de rente viagère et cent écus en argent, et pour la soulager elle prit une petite servante encore.

La pauvre madame Pilou fut surprise à Saint-Paul d’un si grand débordement de bile qu’elle en tomba