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Quand elle voit des gens qui sont quelque temps dans la mortification, et qui après retournent à leur première vie : « Ils font, dit-elle, comme l’ânesse de ma cousine Passart. Cette bête avoit un ânon : on enferme son petit, et on la charge de tout ce qu’il falloit pour aller dîner à demi-lieue d’ici. Elle va bien jusqu’à la moitié du chemin ; mais se ressouvenant de son ânon, elle fait trois sauts, et vous jette toute la provision dans la boue. Eux aussi vont fort bien quelque temps, puis tout d’un coup ils jettent le froc aux orties, dès qu’ils se ressouviennent de leur ânon. »

Elle disoit à M. le Prince, en 1652 : « Vous voulez, dites-vous, ruiner le cardinal ; ma foi vous vous y prenez bien. Tout ce que vous faites ne sert qu’à l’affermir de plus en plus : vous vous faites craindre à la Reine, et elle croit, plus elle va en avant, que sans cet homme vous lui feriez bien du mal. »

Elle ne se put tenir d’aller au sacre du Roi, quoiqu’elle eût soixante-seize ans : il est vrai que rien ne lui fait mal. On est bien aise qu’elle aille partout, et on dit, quand il est arrivé quelque chose d’extraordinaire : « Madame Pilou sera bonne sur cela. » Elle alla à Meudon chez madame de Guénégaud pour quelques jours, pour mettre dans du marc un bras qu’elle avoit eu démis pour avoir versé en carrosse. M. Servien fit quelque régal où madame Pilou se trouva. Il lui fit des offres de service. Elle lui dit : « Je vous en remercie, gardez cela pour d’autres ; Robert Pilou et moi avons du bien plus qu’il ne nous en faut : faites-moi toujours votre visage de Meudon : quand vous me verrez ne tressaillez point, car je