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ges qui alla à fond dans la rivière. Les oranges alloient sur l’eau. Il y avoit (révérence de parler) un étron sec parmi elles ; cet étron disoit : Nous autres oranges nous allons sur l’eau. »

Depuis son veuvage elle dit que deux ou trois hommes l’ont voulu épouser, « mais, soit dit à mon honneur, ils ont été tous trois mis aux Petites-Maisons. »

Elle m’a avoué, car j’en avois ouï parler par la ville, qu’il étoit vrai que comme un soir un conseiller d’état, homme de quelque âge, la ramenoit chez elle, elle étoit à la portière, et lui au fond, il la prit par la tête, elle qui avoit plus de soixante-dix ans, et la baisa tout son soûl, en lui disant sérieusement qu’il l’aimoit plus que sa vie. Elle en fut si surprise qu’elle ne songeoit pas seulement à se dépêtrer de ses mains ; et elle arriva à sa porte, car il n’y avoit pas loin, avant que d’avoir eu le loisir de lui rien dire. Elle ne l’a jamais voulu nommer. Un jour, comme elle étoit chez la Reine, madame de Guémené dit à Sa Majesté : « Madame, faites conter à madame Pilou l’aventure du conseiller d’état. — Ne voilà-t-il pas, dit la bonne femme, vous regorgez d’amants, vous autres, et dès que j’en ai un pauvre misérable, vous en enragez. » À propos d’amants : elle dit qu’elle a fait bâtir un hôpital pour mettre ceux à qui les femmes arracheront les yeux pour leur avoir parlé d’amour ; mais il n’y a que des araignées dans ce pauvre hôpital. Au diable l’aveugle qu’on y a encore mené.

Le cardinal de La Valette, en colère contre elle pour quelque chose, vouloit, disoit-il, la faire lier sur le cheval de bronze.