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soit-il, prendroit les petites comme les grandes. Enfin, je retourne chez moi dans la rue Saint-Antoine ; il me fâchoit bien de désemparer ; mon mari étoit malade jusqu’à tenir le lit, il y avoit long-temps. Je lui dis : Mon pauvre homme, il faut que je m’en aille, tu fermeras les yeux, et tu diras que tu es mort. »

Ce mari mort, la voilà seule avec son fils, qui est un bon garçon, fort simple, qui s’est jeté dans la dévotion. Ils ont du bien de reste : tous les ans, s’ils vouloient, ils feroient quelque constitution, mais ils aiment mieux donner aux pauvres. Leur dévotion n’est point incommode. Madame Pilou est à son aise ; à cause de cela on l’appelle la douairière de Pilou.

Elle disoit à ce garçon, qui se faisoit malade à force de courir à toutes les dévotions : « Mon Dieu ! Robert, à quoi bon se tourmenter tant ? veux-tu aller par-delà paradis ? » Elle me disoit un jour : « Je lui faisois hier des reproches de ce qu’il n’étoit point propre. — Madame Pilou, m’a-t-il dit, donnez vous patience ; cela viendra avec le temps. » Et il a cinquante-deux ans. » Elle avoit été fort long-temps à le persuader de prendre un manteau doublé de panne. Le premier jour qu’il le mit, on le prit pour un filou qui avoit volé ce manteau, et on lui donna un coup de bâton sur la tête dont il pensa mourir. Il pria sur l’heure qu’on ne courût pas après cet homme ; et, croyant mourir, il fit promettre à sa mère de ne le poursuivre point. Elle dit que son fils fait un recueil de billets d’enterrement.

Une fois qu’elle entendoit une femme de la ville qui, en parlant de je ne sais combien de dames de grande condition, disoit : Nous autres, etc. « Cela me fait souvenir, dit-elle, du conte qu’on fait d’un bateau d’oran-