Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un jour elle disoit, à propos de demi-fous, qu’il étoit difficile de s’en garder. « Quand un homme a un chapeau vert, je ne m’y saurois tromper ; mais quand il n’a qu’un chapeau vert brun, il est assez mal aisé. Il m’est arrivé bien des fois, disoit-elle, que lorsque j’y regardois de bien près, je trouvois que tel chapeau, que je croyois noir, n’étoit que vert brun. » Elle dit que naturellement elle sent le sot, et que dès qu’il y en a quelqu’un en une compagnie, elle l’évente tout aussitôt.

Elle disoit que les amants entre deux vins sont les plus plaisants de tous ; elle appelle ainsi ceux qui sont quasi fous. « Ils me font rire, dit-elle, car ils croient que personne ne voit ce qu’ils font. »

J’ai déjà dit, ce me semble, qu’elle ne voulut jamais faire devant le cardinal de Richelieu les contes qu’elle savoit du feu président de Chevry, après sa mort même, de peur de nuire à son fils[1]. Elle a toujours été fort bien avec les gens de finances ; mais elle n’en a point profité : elle a servi beaucoup de personnes en de grandes affaires, et n’a rien pris.

Elle dit que l’année de Corbie, durant le grand effroi qu’on eut à Paris[2], elle s’en alla chez le feu président de Chevry, qui lui dit : « Les ennemis viendront par la porte Saint-Antoine, et braqueront leur canon qui fessera dans toute la rue. — Il faut donc aller, disois-je, dans les petites rues. — Un autre, me di-

  1. Voyez l’article du président de Chevry, tome I, page 261. Il contient plusieurs traits singuliers que madame Pilou avoit racontés à Tallemant sur ce financier.
  2. En 1636. Voyez les Mémoires de Montglat, à cette date.