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qu’on fasse, il reste toujours un petit trou qu’on ne sauroit boucher. »

À Poitiers, les Jésuites le prièrent de prêcher saint Ignace ; il voulut leur donner sur les doigts. Il fit un dialogue entre Dieu et le saint, qui lui demandoit un lieu pour son ordre. « Je ne sais où vous mettre, disoit Jésus-Christ : les déserts sont habités par saint Benoît et par saint Bruno.... » Il faisoit une conversation des lieux occupés par les principaux ordres. « Mettez-nous seulement, dit saint Ignace, en lieu où il y ait à prendre, et laissez-nous faire du reste. » En sortant, il dit à un de ses amis : « Je n’ai voulu prêcher céans qu’après dîner, car je savois bien qu’autrement on m’y auroit fait méchante chère. » Une autre fois, à Paris, il en donna encore aux Jésuites en pareille occasion. « Le christianisme, dit-il, est comme une grande salade ; les nations en sont les herbes ; le sel, le vinaigre, les macérations, les docteurs : vos estis sal terrae ; et l’huile, les bons pères Jésuites. Y a-t-il rien de plus doux qu’un bon père Jésuite ? Allez à confesse à un autre, il vous dira : Vous êtes damné si vous continuez. Un Jésuite adoucira tout. Puis, l’huile, pour peu qu’il en tombe sur un habit, s’y étend, et fait insensiblement une grande tache ; mettez un bon père Jésuite dans une province, elle en sera enfin toute pleine. » Les Jésuites se plaignirent à lui-même de ce qu’il avoit dit. « J’en suis bien fâché, mes Pères, leur dit-il ; mais je me suis laissé emporter ; je ne savois que vous dire. Dans quatre jours c’est la fête de notre Père saint Augustin, venez prêcher chez nous, et dites tout ce qu’il vous plaira, je ne m’en fâcherai point. »