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réserva la faculté de lui donner cinquante mille écus, comme il a fait. Il l’a mariée à un gentilhomme. Il avoit l’honneur d’être un peu fou, et sa femme a l’honneur de l’être encore. Il en vint jusqu’à séparer le logis en deux ; et il ne voyoit plus du tout sa femme : il ne lui donnoit rien. Ceux qui lui avoient fourni des vivres, des habits, etc., firent un procès au président. Or, la cause plut plaidée à la grand’chambre, et il fut condamné. Tout ce qu’il fit ce fut d’obtenir qu’on mît dans l’arrêt que ç’avoit été de son consentement. Le premier président Le Jay en usa bien avec lui, quoiqu’il n’eût pas sujet de s’en louer, car ayant été chez lui pour une affaire qu’il avoit à la chambre, M. Nicolaï ne le voulut point voir. L’affaire se fit pourtant. Il a passé pour homme de bien, et avec raison, et ne se faisoit point autrement de fête ; au contraire, il négligeoit de se faire payer ses appointements. Il a passé aussi pour éloquent, mais sans autre fondement que de parler avec quelque facilité ; il étoit toujours prolixe. Cet homme avoit encore à sa mort une chambre qui n’avoit que de la natte pour toute tapisserie. On disoit qu’il achetoit les vieilles soutanes de son fils, et qu’il les faisoit ajuster pour s’en servir. Pour sa femme, à qui il avoit laissé pour s’entretenir huit mille livres de rentes, qui lui étoient venues du côté des Amelot, elle avoit fait peindre et dorer son appartement ; elle étoit magnifique en toute chose.

Nicolaï avoit un frère qui vit encore, qui est un vieux garçon : il a été guidon des gendarmes, puis premier écuyer de la grande écurie. C’étoit lui qui disoit qu’un carrosse étoit un grand maquereau à Paris. Du temps qu’il le disoit c’étoit plus vrai qu’à cette heure, car il y