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monte dans un carrosse gris qui l’attendoit à la porte, et revint dans une chaise rouge après que le carrosse que madame d’Elbeuf lui avoit envoyé s’en fut en allé. Elle en envoie demander un à sa belle-mère, et dit après pour excuse qu’elle avoit été se promener aux Tuileries avec une de ses amies qu’elle ne nommoit point. Depuis, elle fut si sotte que d’avouer à une personne qu’elle croyoit fort secrète, mais qui l’a redit, qu’elle étoit allée demander ses lettres à Vardes, qu’elle ne pouvoit souffrir qu’il les eût ; mais qu’il ne les lui avoit pas voulu rendre. Cela fit un bruit du diable. Le prince d’Harcourt, après l’avoir enfermée, lui dit qu’il lui tiendroit bon compte de Vardes. Elle, cependant, fit si bien qu’elle fit sortir un sommelier qui avertit Vardes du dessein du mari. Vardes partit le lendemain pour l’armée, sans passer par Saint-Denis, où on le vouloit attendre. Depuis, cette querelle s’accommoda[1].

Le prince d’Harcourt a quelquefois battu ses gens à cause qu’ils n’étoient pas assez fidèles espions. Un soir, après avoir pris congé de sa femme, qui feignoit de se vouloir coucher, c’étoit à onze heures en été, il vit un laquais qui, tout essoufflé, montoit dans la chambre de sa

  1. Le récit de Tallemant jette plus de jour sur une lettre écrite par Bussy-Rabutin à madame de Sévigné, le 17 août 1654. « Que sert à madame d’Elbeuf d’être revenue si belle de Bourbon, si elle ne peut étaler ses charmes dans le monde, et s’il faut qu’elle s’aille enfermer dans Montreuil ? En vérité c’est une tyrannie épouvantable que celle qu’elle souffre ; et je crois qu’après cela on la devroit excuser si elle se vengeoit de son tyran. Il est vrai que je pense qu’elle s’est vengée, il y a long-temps, du mal qu’on devoit lui faire ; comme c’est une personne de grande prévoyance, elle a bien jugé qu’on lui donneroit des sujets de plainte quelque jour ; elle n’a pas voulu qu’on la primât, et entre nous je crois que son mari est sur la défensive. »