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Quand elle vit l’affaire avancée, elle s’alla jeter aux pieds de madame de Schomberg, sa grand’mère, auprès de laquelle elle avoit été élevée, pour la supplier de fléchir son père ; qu’elle aimoit bien mieux mourir que d’épouser un homme qu’elle ne pouvoit aimer. Elle pleura tant, que la bonne femme en fut émue. Mais le père, qui voyoit que cette alliance lui étoit avantageuse, et qui croyoit que c’étoit une vision de sa fille, voulut que l’affaire s’achevât.

Elle se laissa coucher, mais avec résolution de ne lui rien accorder. Toute la nuit elle ne voulut point joindre, et le lendemain elle protesta de ne coucher jamais avec lui. Ensuite, on les démaria sous prétexte d’impuissance. Madame de Liancourt jure qu’elle l’a pu faire en conscience, parce qu’elle n’y a jamais consenti ; cependant elle a toujours eu tellement devant les yeux cette espèce de tache que cela l’a toujours fait aller bride en main.

Elle épousa ensuite M. de Liancourt[1], qui étoit fort riche ; elle n’en eut qu’un fils pour tous enfants. Elle avoit avant la mort de ce garçon tout sujet de contentement ; cependant, soit que ce fût à cause des deux fils du duc avec qui elle avoit été fiancée, ou que naturellement elle fût ambitieuse, elle ne goûtoit pas autrement sa félicité parce qu’elle n’avoit pas le tabou-

  1. J’ai ouï dire que M. de Liancourt, un matin voyant habiller une dame, s’amusa à jouer avec sa chatte, et lui prit en badinant son collier de perles au col qu’il mit à la chatte. Ce collier étoit de grand prix ; la chatte ne fit que mettre le nez hors la porte, on n’en eut jamais de nouvelles depuis. M. de Liancourt en donna un autre. Jamais il ne s’est joué si chèrement avec personne qu’avec cette chatte. (T.)