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l’épée au côté et le manteau sur les épaules. Ce même officier avoit servi le jour de devant sur table, tête nue (ce qui ne se fait jamais), chez un de ses voisins, à qui elle l’avoit prêté. Je ne doute pas que ce ne fût par ordre, et que dans sa cervelle creuse elle ne s’imaginât que sa grandeur paroissoit en ce que ce même homme qui servoit nu-tête chez un particulier avoit l’épée au côté chez elle.

Cette femme faisoit la jeune et ne l’étoit nullement ; elle se faisoit craindre comme le feu à ses valets et à ses paysans : aussi ne savoit-elle ce que c’étoit que de pardonner. Ses enfants étoient presque tous mal avec elle. Elle avoit marié l’aîné à la fille de M. du Tremblay[1], gouverneur de la Bastille. La mère, madame du Tremblay, étoit de bien meilleure maison que son mari ; elle étoit de La Fayette ; on en avoit fort médit. Cette fille étoit belle, mais elle ne dégénéroit pas ; c’étoit, et c’est encore une des plus grandes écervelées qu’on puisse voir. Quand elle sortit de la Bastille pour aller chez son mari, on disoit que M. du Tremblay lui avoit dit : « Ma fille, vous sortez d’une maison où l’on a toujours vécu en honneur ; mais vous allez être sous la charge d’une belle-mère de qui on a assez mal parlé ; ne vous laissez pas corrompre, et ayez toujours devant les yeux la vie de votre mère ; » et quand elle entra chez son mari, madame de Maintenon lui dit : « Ma fille, vous venez d’un lieu où vous n’avez pas eu tous les bons exemples imaginables ; vous entrez dans une famille où vous ne trouverez rien qui ne soit à imi-

  1. Il s’appeloit Leclerc, et étoit frère du Père Joseph. (T.)