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portable sur sa noblesse. Elle s’en instruisit, et ayant trouvé qu’un Pierre de Courtenay, comte d’Auxerre, avoit été empereur de Constantinople, elle disoit à tout bout de champ : l’emperière ma grand’mère.

Étant veuve, et espérant épouser M. d’Épernon, elle se faisoit servir à plats couverts et avoit un dais. Mon beau-père[1] a une terre vers Chartres, et elle y en avoit une aussi. Une fois que j’y étois, il lui donna à manger : elle nous dit des vanités les plus extravagantes du monde, entre autres sur le propos des bâtards : elle nous dit qu’elle se pouvoit vanter que ses bâtards, aussi bien que ceux des princes, étoient gentilshommes. Pour moi, je trouvois assez plaisant qu’une femme dît mes bâtards. Comme héritière et aînée de la maison, elle croyoit qu’il falloit parler ainsi. À son tour elle nous convia à dîner. En attendant qu’on servît, elle nous pria de nous asseoir. Je fus tout étonné que cette folle se plantât à la place d’honneur, et sa belle-fille auprès d’elle, sur des chaises où il y avoit des carreaux, et dit à toute la compagnie, dont la moitié étoit des femmes, qu’ils s’assissent. Mais devinez sur quoi ? Sur de belles chaises de bois qui n’avoient jamais été garnies, car il n’y eut jamais petite-fille d’emperière si mal meublée. Elle avoit, disoit-elle, des meubles magnifiques à Salvert, en Auvergne ; mais il y avoit un peu bien loin pour y envoyer quérir des siéges. À dîner, elle se mit au haut bout, et nous vîmes je ne sais quel quinola[2], qui la menoit d’ordinaire, servir sur table

  1. Tallemant avoit épousé une fille de Rambouillet, le financier.
  2. Quinola. On appeloit ainsi un homme gagé qui accompagnoit une dame. (Dict. de Trévoux.)