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cul levé, avec deux de ses amis ; il ne voulut point tirer qu’il ne pût tuer Coustenan sans blesser les autres ; grande discrétion pour un homme outragé, et qui n’étoit pas là sans grand péril. Il attendit que Coustenan se fût retiré auprès du feu, et le tua à travers les vitres, comme il lisoit une lettre[1].

Depuis, ce paysan, mari de cette femme, ne parut plus ; ce qui a fait dire que c’étoit lui qui avoit fait le coup. On soupçonna aussi quelques-uns de ses domestiques, mais on ne poursuivit personne. Sa veuve, dix ans après, épousa le bonhomme Senecterre : elle avoit du bien, et étoit encore jolie[2]. Je ne sais de quoi elle s’avisa. Pour tout avantage il lui donnoit la terre de Gravelle de quatre mille livres de rente, qu’il avoit achetée exprès, et tout ce qui se trouveroit dedans au jour de son décès. À toute heure il lui faisoit des présents ; mais on ne trouvoit jamais la commodité de porter ces choses-là à Gravelle, et ses gens avoient ordre d’enlever ce qui y étoit dès qu’il se trouveroit mal. Il n’en fut pas besoin, car elle mourut l’été de 1658. Il ne vouloit prendre le deuil de peur que cet habit ne lui fît trop ressouvenir de la perte qu’il avoit faite. Enfin, il le prit.

Coustenan avoit un cadet aussi enragé que lui ; il demeuroit au Maine. Il avoit de la haine contre un bourgeois son voisin, et un jour il alla avec quatre ou cinq hommes pour lui faire insulte. Ce bourgeois vou-

  1. Cet événement eut lieu vers 1644.
  2. Anne, bâtarde de Béthune, se remaria en 1654. Il sembleroit qu’elle auroit apporté cette terre de Gravelle à son premier mari ; comment Henri de Saint-Nectaire, son second mari, lui en auroit-il fait le don ? Notre première supposition seroit-elle fausse, ou le premier mari auroit-il vendu cette terre que le second acheta postérieurement ?