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selle étoit belle, et on pouvoit dire que c’étoit un aussi beau couple qu’on en pût trouver. Quoiqu’elle lui semblât admirable, et qu’il en fût touché, il ne voulut point l’aller voir ; car, quoiqu’il fût extrêmement jeune, il voyoit bien déjà que c’étoit une sottise que de se jouer à des filles. Aux Carmes, car ils étoient tous deux de ce quartier-là, il la rencontra à la messe ; il en fut ébloui, et il dit qu’en sa vie il n’a rien vu de si beau. Elle le salua le plus gracieusement du monde. Il se contentoit de passer quelquefois devant sa porte, où elle se tenoit assez souvent ; s’il la regardoit d’un œil amoureux, elle ne le regardoit pas d’un œil indifférent. Comme il souhaitoit avec passion qu’elle fût mariée, un avocat au Parlement, nommé Lévesque, l’épousa quelque temps après. C’étoit un petit homme mal fait et d’ailleurs assez ridicule. Voilà notre galant bien aise : il se met à aller au Châtelet, parce que le mari avoit pris cette route à cause de son beau-père ; le prétexte fut qu’un jeune homme doit commencer par là. Il se place bien loin de Lévesque, et fut assez long-temps sans le rechercher : il y fut bientôt en quelque réputation ; et un matin, s’étant trouvé avec quelques avocats, parmi lesquels étoit Lévesque, on proposa de faire une débauche pour voir ce que ce nouveau-venu d’Italie sauroit faire : Patru ne faisoit que d’en revenir. Lévesque dit qu’il vouloit que ce fût le jour même, et chez lui. Ils y furent ; on fit carrousse[1] jusqu’à onze heures du soir : la femme y fut toujours présente, et ne quitta pas d’un moment la compagnie.

  1. Carrousse, bonne chère qu’on fait en buvant et en se réjouissant. (Dict. de Trévoux.)