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qui se piquoit d’être grand lutteur[1], crut que cet homme lui offroit le collet ; il le prend, et le culbute en bas des degrés. Cela fit bien du bruit ; mais on apaisa tout en disant que le maréchal avoit bu. « Je croyois, disoit-il, qu’il me défioit à la lutte. »

Il étoit un plaisant homme en fait de femelles. M. de Bassompierre, son beau-frère, lui écrivoit de Rouen : « Venez vite pour mon procès ; j’ai besoin de vous ; venez en poste le plus tôt que vous pourrez. » Il part. Le voilà dès sept heures du matin à Magny ; c’est la moitié du chemin : il demande un couple d’œufs. Une servante assez bien faite lui ouvre une chambre. « Ah ! ma fille, lui dit-il, que vous êtes jolie ! Quel bruit est-ce que j’entends céans ? — Il y a une noce, monsieur. — Danserez-vous ? — Vraiment, répondit-elle, je n’en jetterois pas ma part aux chiens. » Il dit qu’il vouloit en être, oublie M. de Bassompierre, s’habille comme pour le bal, et gambade jusqu’au jour. Par bonheur l’affaire avoit été différée.

Une autre fois, passant en poste par Brives-la-Gaillarde, il demanda à boire à une hôtellerie ; la fille de la maison lui plut : il lui demanda si elle avoit des sœurs. « J’en ai deux qui valent mieux que moi. » Il descend de cheval, et y demeura trois jours, un jour pour chacune, et disoit qu’il ne se pouvoit lasser de manger des pigeonneaux que ces divines mains avoient lardés. Par ces sortes de visions il faisoit enrager ses gens : ils disoient tout ce qu’ils vouloient, il ne s’en fâchoit jamais.

  1. Il disoit un jour à propos de cela, qu’il étoit un Samson. « Au moins, dit M. de Guise, avez-vous une mâchoire d’âne. » (T.)