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LE MARÉCHAL DE SAINT-LUC[1].


Le maréchal de Saint-Luc s’appeloit d’Épinay ; c’est une bonne maison de Normandie. C’étoit un étrange maréchal de France. On disoit qu’il y avoit en lui de quoi faire six honnêtes gens, et qu’on ne pouvoit pas dire pourtant que ce fût un honnête homme. Il étoit bien fait, dansoit bien, jouoit bien du luth, étoit adroit à toutes sortes d’exercices, avoit de l’esprit, et se mêloit même d’écrire en vers et en prose ; mais il ne faisoit rien avec grâce[2].

On conte de lui qu’ayant traité à Fontainebleau tous les princes lorrains, ils se firent tous jolis garçons. L’ambassadeur d’Espagne le vint voir après dîner. M. de Guise, croyant ôter son chapeau pour le saluer, ôta sa perruque, et demeura la tête rasée. Cet ambassadeur en sortant, comme M. de Saint-Luc le conduisoit, lui dit : « Vous n’irez pas plus avant, et je vous en empêcherai bien ; il n’y a guère de plus forts hommes que moi. » Le maréchal, un peu soûl, lui

  1. Timoléon d’Épinay de Saint-Luc, né en 1580, mort à Bordeaux le 12 septembre 1644.
  2. M. de Termes avoit promis des vers à quelqu’un pour le carrousel ; l’autre les lui demanda. « Ma foi, répondit-il, Saint-Luc a depuis quelques jours tellement gourmandé les Muses, que je n’en ai pu avoir raison. » (T.)