Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

teurs du monde ; mais il n’en douta plus par une aventure assez plaisante que voici :

Comme il étoit en Champagne, un Anglois lui demanda la passade. « J’avois, lui dit-il en mauvais françois, une attestation de M. l’agent du roi d’Angleterre ; mais on me l’a déchirée à Lumigny. » Frémont, qui étoit peut-être le seul homme en Champagne qui sut cette affaire, lui demanda comment cela étoit arrivé. « Comme je fus à Lumigny, deux demoiselles me demandèrent si j’avois des lettres de M. Laeger, j’entendis M. l’agent ; je tire mon attestation ; elles se jettent dessus, et en se l’arrachant l’une à l’autre, la déchirent ; après cela la plus jeune (on l’appeloit mademoiselle de Nermanville) vint à moi avec une lettre, et me dit : — C’est de Laeger et non de l’agent que je vous demande une lettre, donnez-la-moi ; en voilà une pour lui (elle faisoit cela pour voir s’il n’en avoit point). — Je lui jurai que je ne savois ce que c’étoit. » La comtesse, après, trouva moyen de lui parler ; elle lui parla en anglois, lui donna une lettre pour Laeger, lui enseigna son logis, et lui jura qu’il l’assisteroit. Il les servit depuis, et porta quelque temps leurs lettres. Déjà Laeger s’étoit servi de ces pauvres Anglois qui vont demandant leur vie, et c’est pourquoi les deux filles demandèrent des lettres à celui-ci.

Le comte de La Suze est un homme où jamais il n’y a eu ni rime ni raison. Lui et sa femme avoient plus de quatre-vingt mille livres de rente. Pour s’acquitter, on lui proposa de se contenter de douze mille écus par an pour quelques années ; jamais il n’y voulut enten-