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princesse Georgette vinrent à Paris pour voir s’il n’y auroit rien à recueillir : ce bon Tudesque ne la perdoit pas de vue. Toute la consolation de la pauvre chrétienne étoit de parler de son chancelier : elle étoit fort éveillée en sa jeunesse ; elle ne voulut point voir Vineuil. On dit qu’elle a plus de sens que l’autre.

Madame de La Suze, qui paroissoit stupide en son enfance, et qui en conversation ne disoit quasi rien il n’y a pas trop long-temps encore, fit des vers dès qu’elle fut en Écosse ; elle en laissa voir, dès qu’elle fut remariée, qui n’étoient bons qu’à brûler. Depuis elle a fait des élégies les plus tendres et les plus amoureuses du monde, qui courent partout. Le premier dont on a parlé fut un garçon de notre religion, nommé Laeger ; il est à cette heure conseiller à Castres : il a de l’esprit et fait des vers, mais médiocres. D’ailleurs, c’est un gros tout rond, et qui n’est nullement honnête homme. Il étoit allé à Lumigny avec un de ses amis qui connoissoit madame de La Suze. Là cette folle s’éprit de Laeger ; on le lui dit. Elle lui a écrit un million de lettres et des vers les plus passionnés qu’on puisse voir ; mais ses belles-sœurs les empêchoient de se joindre. Elle vint ici ; il alloit la voir et portoit une lettre ; elle se tenoit sur le lit, lui auprès, et mettoit cette lettre dans sa mule de chambre droite, et en prenoit une autre dans la gauche. Il la vit, déguisé sur les chemins, et une autre fois comme il faisoit semblant d’aller à la chasse. Il se ruinoit en laquais et en messagers qu’il a fallu quelquefois envoyer jusqu’à Béfort. Ce galant homme avoit conté cette histoire à Frémont, qui ne le croyoit pas, car c’est un des plus grands men-