Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il avoit près de quatre-vingt mille livres de rente qu’il employoit à assister les pauvres, et il ne se maria que quand il eut dissipé une partie de son bien, afin de faire des gueux. Le maréchal ne prit point plaisir à ces promenades de sa femme et y mit ordre.

C’étoit un homme intrépide que le maréchal ! Au siége d’Arras, il reçut un coup de mousquet dans son écharpe ; la balle s’arrêta au nœud. Il ne pouvoit porter des armes, tant il étoit gros, et puis il n’en eût pas voulu. Il eut un cheval tué entre ses jambes d’un coup de canon : « Ah ! dit-il, sans s’émouvoir, ces gens-là sont importuns ; cela n’est point plaisant. J’avois là un bon cheval. »

M. de Chaulnes, qui étoit le plus ancien maréchal[1], lui vint dire, le fort de Rousseau étant pris : « Monsieur, tout est perdu, les ennemis sont dans les lignes. — Bien, bien, répondit-il, je les aime mieux là qu’à Bruxelles. Allons, allons, monsieur de Chaulnes, il ne faut pas s’effrayer de cela. » C’étoit en effet le plus confiant des hommes. Il disoit toujours : « Laissez-les venir, » et on avoit une peine étrange à le faire monter à cheval ; peu prévoyant, et qui ne jouoit point du tout de la tête, il assuroit toujours de prendre, et dans peu de temps, et souvent il ne prenoit que fort tard, ou point du tout. Ma foi ! ce n’étoit ni son grand-père ni son père[2].

Il fut un temps qu’il n’y avoit que lui et le maréchal de La Force, car on étoit si ignorant, qu’à Saint-Jean-

  1. Ils étoient trois : Chaulnes, Châtillon et Brézé. (T.)
  2. Son fils Dandelot le sauva à la bataille de Sédan. (T.)