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belle et vertueuse ; mais il disoit lui-même qu’il eût mieux aimé qu’elle eût été un peu plus complaisante et un peu moins honnête femme. Le comte de Carlisle, au mariage de la reine d’Angleterre, témoigna tant d’estime pour elle, que ci c’eût été un homme moins sérieux, on eût pu dire qu’il en étoit épris ; il la surnomma l’Incomparable. Quoi qu’on ait chanté parmi les huguenots, cette femme-là n’étoit pas si grand chose qu’on disoit ; l’histoire de ses enfants en fera foi. Mais sa vertu et son zèle, quelquefois assez inconsidérés, faisoient que le petit troupeau en étoit persuadé à un point étrange.

Elle se mit en tête d’entendre la Sainte-Écriture, et pour cela elle s’enfermoit des après-dînées entières avec un grand ministre mal bâti, qu’on appeloit M. Le Veilleux, et cela si souvent qu’on commençoit à en dire des sottises. Elle s’étoit laissé empaumer par une vieille mademoiselle Du Chesne, qui avoit été gouvernante des sœurs du maréchal ; c’étoit une dévote qui, par affectation, se mettoit toujours à prier Dieu quand il falloit dîner, afin qu’on dît : « Elle est en oraison, il la faut laisser achever. » Ce M. Le Veilleux étoit un homme qui, sans affectation, faisoit pourtant ses oraisons aussi à contre-temps que cette demoiselle. Lui et la maréchale[1] se promenoient quelquefois trois heures durant dans le parc, et on les trouvoit souvent en oraison au pied d’un arbre. Cet homme étoit un peu fou, et en priant Dieu il demeuroit quelquefois en extase. Il lui échappoit parfois de belles choses ; c’étoit un gentilhomme plein de charité.

  1. Ce n’étoit point une habile femme ; elle ne faisoit que prier Dieu. Le maréchal fut contraint de lui ôter le soin de sa maison. (T.)