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à se promener et à faire souvent des concerts : elle avoit déjà Le Pailleur[1] avec elle qui étoit fort savant dans la musique ancienne et dans la moderne. Il l’avoit apprise comme une partie des mathématiques ; il chantoit même fort bien. Elle avoit une femme-de-chambre qui avoit de la voix, et elle disposoit absolument de deux autres personnes qui en avoient aussi. Un jour que Porchères[2] avoit ouï cette musique domestique, il dit à la maréchale : « Madame, voilà qui est trop bon pour n’en faire part à personne ; allons donner la sérénade à M. de Nemours, votre voisin : il a la goutte, cela le guérira. — Mais je ne le connois point familièrement, dit-elle. — Qu’importe, répliqua-t-il, venez ; il ne faut que passer par les écuries, nous nous mettrons sous les fenêtres de sa chambre[3]. » M. de Nemours en fut averti aussitôt ; mais il ne fit pas semblant de savoir qui c’étoit, et il envoya faire mille civilités. Porchères proposa ensuite d’aller chez la princesse de Conti : on y va. Elle en fut ravie, et dit qu’il falloit faire entendre cela à la Reine. La Reine a un balcon, et, ne voulant pas faire semblant de savoir qui c’étoit, dit qu’elle étoit fort obligée à ceux qui lui avoient bien voulu donner un si agréable divertissement.

Le lendemain, M. de Nemours[4] envoya faire des

  1. Ce Le Pailleur étoit un homme singulier auquel Tallemant consacre un article à la suite de celui-ci.
  2. François de Porchères d’Arbaud, membre de l’Académie françoise. Les ouvrages de ce poète sont répandus dans les Recueils du temps.
  3. Elle logeoit dans la rue Christine. (T.) — M. de Nemours habitoit l’hôtel de Nevers, sur le terrain duquel a été construit l’hôtel de la Monnoie.
  4. Il avoit alors soixante-cinq ans. (T.)