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sure[1], et en mourant il pria son père d’assurer madame de Bellengreville, dont il étoit amoureux, qu’il étoit mort son serviteur. Le maréchal s’acquitte de sa commission, devient amoureux d’elle et l’épouse[2]. Outre qu’elle aimoit le jeu, qu’elle perdoit, qu’elle payoit bien et se faisoit mal payer, le maréchal lui aida à manger son bien. Il fut cause aussi qu’elle changea de religion[3].

Chaban[4] s’étoit mis les controverses dans la tête et disputoit avec beaucoup de douceur. Le maréchal dit à sa femme qu’il souhaitoit qu’elle entendît cet homme ;

  1. Celui qui tua Richelieu. (T.)
  2. Ce mariage fut célébré au mois de septembre 1622.
  3. Ce maréchal de Thémines se nommoit de Lauzières, en son nom ; il avoit été fait maréchal de France et gouverneur de Bretagne, pour avoir arrêté M. le Prince. Le marquis Pompeo Frangipane disoit assez plaisamment : « Non ho mai visto sbirro cosi ben pagato. » Ce même Italien disoit : « Qu’à la cour de France c’étoit une chose ennuyeuse. Di star sempre dritto e scappellato come un cazzo. » Quand on lui demandoit si madame la princesse de Guémenée ou madame la princesse n’étoient pas de belles personnes : « Si, disoit-il, ma quel Pongibo e un bel cavalier. » C’étoit un cadet du feu comte Du Lude. (T.)
  4. Il portoit l’épée, mais on l’accusoit d’avoir été violon ou joueur de luth. Un jour il s’avisa de faire des propositions au conseil, car il se mêloit de bien des choses, pour je ne sais quelles fortifications qu’on pouvoit faire, disoit-il, à bien meilleur marché qu’on ne les faisoit. Alcaume, bon mathématicien, qui y étoit employé, dit : « Messieurs, nous ne sommes pas au temps d’Amphion où les murailles se bâtissoient au son du violon. » Tout le monde se mit à rire, et Chaban fut contraint de se retirer. Ce pauvre homme fut tué depuis par L’Enclos, père de Ninon, avant que d’avoir eu le loisir de se défendre.

    Ce conte me fait souvenir d’une naïveté qu’on attribuoit au feu marquis de Nesle, gouverneur de La Fère, qui étoit pourtant un brave homme : c’est que, comme on eut proposé de faire une demi-lune, il dit : « Messieurs, ne faisons rien à demi pour le service du Roi, faisons-en une tout entière. » (T.) — Molière s’est heureusement emparé de ce mot dans ses Précieuses ridicules.