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prévôt de l’hôtel, homme veuf sans enfants, et un des plus accommodés du royaume[1] ; plusieurs veuves de qualité étoient après ; mais il étoit difficile. Il vouloit une veuve de bonne maison, jeune, belle, et qui depuis peu eût eu des enfants. En ce dessein, il trouva un nommé Jouy, son voisin à la campagne, qui étoit de la connoissance de madame de Chambret, et qu’elle avoit prié de lui faire raccommoder un petit portrait qu’elle lui avoit envoyé. Il le portoit à raccommoder, quand il fut rencontré par M. de Bellengreville, auquel il le montra. « Est-elle aussi belle que cela ? lui dit le bonhomme. — Oui, » répondit l’autre. En effet, c’est une des plus aimables personnes du monde, et le seul défaut qu’elle a eu, hors qu’elle n’a jamais eu assez d’embonpoint, étoit d’avoir les cheveux mêlés de blanc dès vingt ans. D’ailleurs, elle étoit d’humeur douce, et ne manquoit pas d’esprit ; elle avoit de la générosité.

Durant quelque temps, car il prit ce portrait, il l’adora dans son cabinet. Après, il envoya un de ses amis qui avoit vu autrefois madame de Chambret, pour voir si elle étoit aussi belle que ce portrait. Cet homme dit tout à la veuve, qui, ne songeant alors qu’à jouir de la liberté où elle se trouvoit, ne s’en tourmenta pas autrement, et dit qu’elle seroit bientôt à Paris. En effet, elle y vint trouver sa mère, qui y étoit pour un procès. Cette mère lui avoit mandé : « Ma fille, apportez-moi

    tel, en 1604. (Voyez le Prévôt de l’hostel, par Pierre de Miraulmont ; Paris, 1615, p. 146.)

  1. Il étoit homme de service, mais il ne savoit pas lire. Il prenoit dans les heures le calendrier pour les litanies. (T.)